17 — 19.05

Idio Chichava Maputo

Vagabundus

danse

Le 140

Venue avec une chaise roulante à confirmer lors de la réservation en ligne ou via la billetterieAccessible aux personnes en chaise roulante | ⧖ 1h10 | €21 / €17

Treize performeur·euses dansent avec frénésie et chantent à tue-tête, comme en extase. Iels se déplacent comme un seul corps dans des scènes qui rappellent tantôt la vie dans la rue, tantôt une procession. Par moments, l’un·e ou l’autre s’échappe pour ensuite, tendrement, réintégrer le groupe. Le chorégraphe Idio Chichava s’inspire des mouvements migratoires et des rituels de danse du peuple Makondé, vivant principalement au Mozambique et dans les pays voisins. Selon lui, seuls les corps qui dansent et chantent simultanément s’expriment pleinement et peuvent exister en synergie avec les autres. Vagabundus dépeint la vie comme un rassemblement et un regroupement constants et la migration comme un voyage qui pourrait être émotionnel, spirituel et collectif. Chansons mozambicaines traditionnelles et contemporaines sont chantées et superposées à du gospel et des motifs baroques. Avec une scénographie épurée, entièrement portée par l’impact explosif de la danse et des voix, Chichava explore l’expressivité du corps et célèbre la vie en nous renvoyant vers notre véritable identité. Un spectacle éblouissant qui souligne la capacité de la communauté à renforcer notre identité, une performance collective bouleversante qui déploie le chant et la danse comme moyen de résistance et comme rituel de survie.

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VAGABUNDUS

Je suis allé voir Vagabundus totalement désarmé, sans préparation, sans lire le scénario, ni m’informer davantage. C’est une habitude que j’ai prise pour me préserver de l’influence de l’auteur ou du critique qui est en moi. Je choisis qui m’accompagne en fonction de ma motivation ou de mon humeur: la tête ou le cœur. Parfois, sans le vouloir, l’un·e supplante l’autre et me submerge. Cette fois, je n’ai pas eu le temps de choisir: dès l’ouverture des portes, j’ai été assailli par les démons du discernement indiscipliné. Impossible de m’en départir une fois qu’ils sont là, et impossible d’utiliser ma tête ou de réfléchir. De toute façon, réfléchir occasionne parfois des perturbations qui m’empêchent de savourer le moment et ses sensations inexplicables. Quand les émotions sont aussi puissantes, elles brisent tous les codes qui guident et contrôlent mon esprit ou mon discernement.

Alors que je cherchais encore ma place au premier rang –pour entendre le souffle des danseur·euses et pouvoir les regarder dans les yeux– j’apercevais déjà d’étranges formes, drapées de vêtements décatis, se mêlant à des personnes propres sur elles, observant comme moi le no man’s land. À mon étonnement, j’entendais fredonner des airs d’antan, comme aimait à le dire mon ami JP, le soul man ou blues man des Monsters. Les danseur·euses portaient les objets usuels ou swidjumbas que les Molwenes emportent toujours dans leurs expéditions aventureuses vers le no man’s land. Après tout, ce qui n’appartient à personne peut bien appartenir à tout le monde. Étaient-ce là les vagabonds? Mon esprit cherchait encore à comprendre ce que mon cœur accueillait déjà avec gratitude, ayant, lui, déjà trouvé son propre espace-temps pour vivre librement ses émotions, libéré du joug et du contrôle de la dictature de ma misérable vie quotidienne.

Des corps en mouvement dans un jumble, voyageant tantôt dans un monde a priori connu du plateau Makonde aux Zoulous sud-africains, tantôt, soudain, évoluant dans une déconstruction totale appelant des images étranges, merveilleuses, hallucinantes. J’étais fasciné par leurs chants, qui me renvoyaient tant au paradis qu’aux enfers. Ils m’apparaissaient à la fois familiers et étranges. Les chants des Chibalos et les temples de conversion des Molwenes poursuivant les promesses qui leur furent refusées par leur Xikwembus ancestraux. Leurs corps possédés se tordant, roulant et se jetant à terre, s’auto-violant, dans une épreuve d’endurance indéniable, comme on en trouve dans la magie de réincarnation africaine. Ces hommes et ces femmes recherchaient la même chose que moi, qui me recroquevillait dans mon siège en prétendant être spectateur. J’étais envoûté par l’atmosphère lumineuse et les silhouettes errantes, par les sons venant d’un sol abritant les dieux ancestraux, par les voix répétant des mélodies et des chants interprétés à la limite des capacités humaines, accompagnés par des mouvements corporels énergiques qui, en temps normal, devraient empêcher l’émission d’un quelconque son. Mais les chants étaient unis aux corps au point qu’il n’existait ni séparation, ni subordination entre les deux. Une union possible uniquement lorsque les corps sont possédés par des démons ou toute autre magie africaine du même ordre. L’espace rectangulaire, un espace minuscule destiné uniquement à créer l’illusion, ressemblait à une planète entière où ces Molwenes marchaient en rang, racontant des histoires de rêve et de réalité, et se métamorphosant en l’incarnation de leurs propres rêves. Dans l’espace brutal qui les ignorait, iels étaient transformé·es par leur capacité à accueillir les soleils et les lunes, les odeurs et les goûts des terres qu’iels arpentaient.

Cette marche errante s’est poursuivie sans relâche jusqu’à ce que je m’éveille d’un rêve. Ma tête a repris le dessus, imposant le recours à la raison. Elle heurtait ainsi mon cœur volage, qui se laisse emporter par les émotions débridées dès que se présente l’occasion de jouir d’un répit forcé ou consentant, offensant par là même l’auteur qui est en moi en l’associant à des rêveries sur des choses que cet auteur ignore. C’est pour ça que rien de ce qui s’est dit ici ne doit être rendu public, au péril de déshonorer tant l’auteur que son ami, l’auteur dramatique ou metteur en scène ou chorégraphe ou tout autre mérite qu’on lui attribue en fonction de la marée dans l’océan Indien. Fâché et gêné comme je le suis, je ne peux même pas raconter ces rêves fous que mon cœur indiscipliné voulait attribuer au jeune Idio Chichava, par la faute de la personne qui a commandé cette analyse critique et technique de l’œuvre. Tout ce que je peux faire, c’est l’assumer et accepter la revendication de liberté de mon cœur, ce qui, en retour, me procure beaucoup de joie et de sérénité, et une lumière infinie.

David Abílio, Février 2024
David Abílio est l’ancien directeur de la Companhia Nacional de Canto e Dança (CNCD). Ce texte a été publié le 3 mars 2024 dans le journal mozambicain domingo.

Présentation : Kunstenfestivaldesarts, Le 140
Compagnie : Converge + | Concept et chorégraphie : Idio Chichava | Assistant et responsable des répétions : Osvaldo Passirivo | Interprètes : Açucena Chemane, Arminda Zunguza, Calton Muholove, Cristina Matola, Fernando Machaieie, Judite Novela, Mauro Sigauque, Martins Tuvanji, Nilégio Cossa, Osvaldo Passirivo, Patrick Manuel Sitoe, Stela Matsombe, Vasco Sitoe | Création lumières : Phayra Baloi | Manager de tournée : Silvana Pombal
Production : Yodine Produções | Coproduction : Companhia Nacional de Canto e Dança (CNCD), KINANI - Plataforma Internacional de Dança Contemporânea, One Dance Week

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